L'émergence et l’utilisation du style paranoïaque comme « réponse savante » à la remise en question radicale du consensus libéral au sein des démocraties politiques occidentales. Approche croisée France – États-Unis - Université de Rennes Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2013

L'émergence et l’utilisation du style paranoïaque comme « réponse savante » à la remise en question radicale du consensus libéral au sein des démocraties politiques occidentales. Approche croisée France – États-Unis

Résumé

L'idée centrale de cette contribution résidera dans le questionnement et la déconstruction du style paranoïaque compris comme outil d'analyse des phénomènes conspirationnistes à la fois aux États-Unis, où l'expression est apparue sous la plume de l'historien Richard Hofstadter dans le courant des années 1960, et en France, en analysant notamment les travaux de Pierre-André Taguieff. Ainsi, il s'agira, via un travail épistémologique s'appuyant sur les écrits des auteurs, de revenir sur la genèse et les conditions d’apparition, dans le champ des sciences sociales, d'études sur les phénomènes conspirationnistes aux États-Unis et en France en montrant qu'elles ne résultent non pas d'une volonté d'observation d'un fait social parmi d'autres mais plutôt d'une construction intellectuelle contre. En effet, il conviendra de montrer que l'émergence de travaux relatifs à l’existence de phénomènes conspirationnistes s’inscrit dans une démarche de défense de la théorie historique du consensus, c'est-à-dire la thèse d'une histoire politique et sociale pacifique construite et acceptée par l'ensemble des catégories sociales car elles partageraient un certain nombre de valeurs parmi lesquelles l'adhésion à la démocratie libérale ou encore au libre échange. Cette démarche de défense de la thèse du consensus se doit d'abord d'être expliquée par le parcours politique et militant des protagonistes, Hofstadter ou Taguieff : leur rupture avec le communisme qui les a conduit à adhérer aux valeurs de la gauche libérale voire même à celles du néo-conservatisme. En effet, comme l'a reconnu Taguieff, son intérêt et ses travaux sur les phénomènes et la rhétorique conspirationnistes sont le résultat de sa renonciation à ce qu'il considère comme ses errements passés, une critique radicale des démocraties politiques occidentales qu'il voit aujourd'hui comme relevant des thèses complotistes. Aussi, cette rupture personnelle des auteurs dans leur parcours politique et intellectuel va les conduire à remettre en question la légitimité et la rationalité des critiques radicales de ce qu'Arthur Schlesinger avait dénommé le « centre vital ». Aux États-Unis, c'est avec la publication de l'ouvrage d'Hofstadter, The Age of Reform, qu’apparaît l’utilisation de la théorie du complot comme interprétation savante des critiques radicales et des revendications des dominés exprimées par le Parti Populiste américain à l'endroit du système politique libéral et de ses valeurs. Il appartiendra alors de déconstruire le raisonnement d'Hofstadter afin de montrer comment il établit, au nom de la défense du centre vital, une causalité nécessaire entre critique radicale du système politique américain et la formulation de thèses conspirationnistes. Hofstadter postule ainsi le caractère irrationnel a priori du mouvement Populiste qui le pousse à envisager la société comme mue par un antagonisme et un conflit entre deux classes sociales avec d'un côté une majorité populaire opprimée et exploitée et de l'autre une élite minoritaire omnipotente et conspirationniste. « Les populistes croient qu'ils sont délibérément opprimés, ce qui les conduit à percevoir les événements de leur époque comme le résultat d'une conspiration » concluait-il. En France également, des politistes et des sociologues comme Taguieff, Nathalie Heinich ou l’article des chercheurs Coréens Park Jung Ho et Chung Sang Jin, « la théorie du complot comme un simulacre de sciences sociales ? », vont, certes à des degrés différents, développer l'idée que la sociologie critique de Pierre Bourdieu serait en quelque sorte une caution académique donnée aux fantasmes conspirationnistes dans sa recherche de lois sociologiques à même d'expliquer la reproduction ou l’hystérésis des mécanismes de domination ; l'attention étant toute portée aux expressions employées par Bourdieu d'un « gouvernement mondial invisible » et d'une « main invisible ». Condamnation des attaques du consensus libéral venant de la gauche d'un côté, mais aussi venant de la droite de l'autre ; l'expression de « centre vital » prend ici tout son sens. En effet, les intellectuels libéraux américains, Bell, Lipset, Parsons et bien entendu Hofstadter avec son célèbre The Paranoid Styles & Other Essays précédé d'Anti-intellectualism in American Life vont véritablement construire et utiliser le style paranoïaque comme réponse savante à l’émergence d'un conservatisme qu'ils jugent inapproprié et illégitime au regard des valeurs libérales et de la thèse du consensus. Ici encore, le processus à l’œuvre est de postuler l'irrationalité de mouvements comme le maccarthysme ou le soutien à la campagne présidentielle de Goldwater qui conduirait in fine à la formulation nécessaire de thèses conspirationnistes en découvrant des ennemis cachés et des forces occultes derrière le gouvernement ou les grandes institutions publiques et privées. De la même manière, en France, les travaux de Taguieff sur le conspirationnisme ne doivent pas cacher une volonté réelle de condamner et de délégitimer les critiques radicales adressées à l’État d’Israël ou aux États-Unis. Restera enfin à poser la question de savoir si cette genèse intéressée invalide les travaux des auteurs à tel point que le recours à leurs outils, le concept de leader paranoïaque en tout particulier, doit être abandonné. La réponse est bien entendu négative mais il nous faut, lorsque nous nous les réapproprions, en donner, nous le montrerons, des définitions plus empiriques et détachées de nos préférences politiques afin d'en faire réellement des concepts politologiques ou sociologiques opératoires.
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Julien Giry. L'émergence et l’utilisation du style paranoïaque comme « réponse savante » à la remise en question radicale du consensus libéral au sein des démocraties politiques occidentales. Approche croisée France – États-Unis. Les sciences sociales face au complot, Université de Paris 1 - Panthéon-Sorbonne; CESSP, Sep 2013, Paris, France. ⟨hal-01687499⟩
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