Reconstitution Expérimentale d’Elaboration de Plomb Argentifère : Implications sur la Filiation des Métaux et le Traçage Environnemental des Paléo Pollutions
Résumé
La recherche de la filiation des métaux polymétalliques en archéologie est classiquement abordée via des analyses élémentaires et isotopiques de Pb sur des matériaux issus de la chaîne opératoire considérée, principalement sur les minerais, lingots ou objets métalliques.
Ainsi, d’un point de vue chimique, les analyses élémentaires, bien qu’indispensables, présentent rapidement des limites d’utilisation dues à divers phénomènes, notamment l’hétérogénéité de la source, mais également à la ségrégation différentielle de certains éléments chimiques durant le refroidissement du liquide métallique.
Les analyses isotopiques de Pb, quant à elles, permettent d’obtenir une signature beaucoup plus fine et qui reste inchangée au cours des différentes étapes de la chaîne opératoire. Mais les isotopes du plomb possèdent des limites d’application qui sont dues : i) à la géologie i.e. plusieurs minerais peuvent posséder une même signature et inversement un même minerai peut posséder des signatures variables, ii) aux mélanges de minerais, iii) aux recyclages des métaux, iv) aux ajouts i.e. au procédé technique, v) à un possible fractionnement de masse des isotopes du plomb durant la phase de réduction et vi) à l’avènement de nouvelles générations de spectromètres de masse entraînant des différences significatives.
Enfin, du point de vue du choix des matériaux, les déchets métallurgiques i.e. les scories (jugés inutiles sur les sites de fouille) sont rarement étudiés. Or, elles sont la clef pour la compréhension des procédés métallurgiques. En effet, l’étude de ces déchets scorifiés permet de mieux connaître la nature du minerai employé (et ses variations), la composition de la charge du four et de savoir s’il y a eu des ajouts (Ploquin et alii, 2005). L’étude typologique (observation morphologique et microscopique) d’un grand nombre de scories permet également de savoir si plusieurs procédés différents ont été employés sur le site.
Par conséquent, l’étude pétrographique des scories, en relation avec le contexte archéologique, apporte des renseignements sur de nombreux points aussi bien pour la réalisation de la filiation minerai/objet que pour la compréhension des procédés métallurgiques anciens.
Néanmoins, les études pétrographiques et chimiques sur les scories archéologiques ne fournissent pas les données nécessaires pour reconstituer avec précision le déroulement d’une opération de réduction. De plus, la théorie selon laquelle un fractionnement isotopique du Pb se produit durant le processus métallurgique est émit comme hypothèse dans la littérature afin d’expliquer l’impossibilité des isotopes du Pb à résoudre les problèmes de filiation (Budd et al., 1995). C’est pourquoi nous avons réalisé des expérimentations en se basant sur les données obtenues par les études pétrographiques réalisées sur des scories archéologiques (scories du Mont Lozère) et sur les rares traités disponibles et notamment celui de Biringuccio (1540).
Dans un premier temps, nous proposons d’éradiquer définitivement la théorie selon laquelle les différences (significatives) de compositions isotopiques de plomb observées sur les produits seraient dues à un fractionnement de masse (Baron, 2005), mais de chercher la ou les causes dans d’autres phénomènes ; et plus particulièrement dans la mise en œuvre du processus de réduction qui peut impliquer beaucoup de gestes différents de la part des métallurgistes de l’époque. Nous mettons ainsi en avant la nécessité de prendre plus en considération l’étape de transformation des minerais sur les sites de fonderie, et donc de se pencher sur l’étude des procédés métallurgiques grâce à des études pétrographiques couplées à des analyses chimiques élémentaires et isotopiques de Pb.
La caractérisation pétrographique nous a permis de montrer que les processus de réduction observés sur le Mont Lozère n’ont pas été reproduits expérimentalement : la galène s’est disloquée dans les scories sans quasiment se transformer. Ceci est dû à une trop forte chaleur et à une atmosphère interne trop réductrice.
La caractérisation isotopique des différents produits (galènes, scories, fumées, plomb, ajouts) nous a permis de montrer que, bien que d’importantes pertes en masse par vaporisation eurent lieu lors des expérimentations, les variations isotopiques mesurées dans les différents échantillons s’expliquent par des hétérogénéités isotopiques des matériaux de départ plutôt que par un fractionnement isotopique du Pb. En fin d’opération de réduction du minerai, les fumées et les scories échantillonnées présentent des compositions isotopiques de Pb homogènes, proches de la moyenne de celles du minerai de départ.
Selon le traité métallurgique de Biringuccio (1540), un ajout initial de plomb (emplombage) était pratiqué pour favoriser la récupération de l’argent directement des galènes argentifères. Nous avons testé un tel ajout de plomb avec le minerai pour estimer l’impact sur les compositions isotopiques de Pb des différents produits. Nous avons observé que l’ajout du Pb n’a pas de contribution significative dans les compositions isotopiques de Pb des fumées (4%).
Pour conclure, les compositions isotopiques de Pb des scories pondèrent celles du district minier considéré et sont les candidats les plus pertinents, contrairement aux minerais, pour remonter à l’origine géographique d’objets métalliques archéologiques. Il est donc illusoire de vouloir retrouver « la mine », il faut chercher le district minier au travers des sites de fonderie. Ainsi, un bon échantillonnage lié à la fouille de sites archéologiques, voire associé à une campagne de prospection, est indispensable pour fournir des résultats fiables aussi bien pour la réalisation de la filiation minerai / objets que pour la compréhension des techniques de production du métal. Ce travail ne peut être réalisé que grâce à une bonne entente entre les archéologues et les « archéomètres », et cela dès les premiers travaux de fouille ou de prospection. Même si, d’un point de vue archéologique, nous n’avons pu retrouver le ou les procédés qui s’opérèrent sur le Mont Lozère, ces résultats prospectifs ainsi que la méthodologie analytique développée semblent prometteurs dans le sens où l’hétérogénéité de la source, qui est le facteur principal limitant dans l’utilisation des isotopes du Pb, peut être enfin mieux cernée par la prise en compte des scories issues de la réduction de ces minerais.
Références
Baron Sandrine. (2005). Traçabilité et évolution d’une pollution métallurgique médiévale de plomb argentifère sur le Mont-Lozère. Thèse de Doctorat, Université de Montpellier II, 232p.
Biringuccio, V. (1540). De la Pirotechnica. Trad. Smith, C. S. and Gnudi, M. T. 1959.
Budd, P., Pollard, A. M., Scaiffe, B. and Thomas, R. G. (1995b). The possible fractionation of lead isotopes in ancient metallurgical processes. Archaeometry, 37, 1, 143-150.
Ploquin, A., Allée, P., Baillie-Maître, M.C., Baron, S., de Beaulieu, J.-L., Carignan, J., Laurent, S., Lavoie, M., Mahé-Le Carlier, C., Peytavin, J. & Pulido, M. “Medieval lead smelting on the Mont Lozère, southern France”. International Conference in Archaeometallurgy in Europe. 2003, Milan, Italy, 24-26 September.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)
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